9. Mardi. 16. Mercredi. 14. Jeudi. 15. Vendredi. 16. Ville de N. Ville de C.
A 15h54 je te confirme : intègre les mails. Je suis d'accord. OUI. Je répète : OUI. Je suis d’accord. Je. Une femme. Elle. Dit. Aujourd’hui j’ai décidé de faire froissé. Un. Homme. Il dit. Aujourd’hui j’ai décidé. Homme. Un. Homme. Il dit. Aujourd’hui tu m’as froissé. Non. Aujourd’hui. Par toi. J’ai été froissé. Regarde. Non. Maintenant. Regarde. Souvenir d’un matin, de ta peau. Les traces des draps sur ta joue. Tu vois. Tout peut être beau. Le problème, c’est que je n’associe personne à ce souvenir. Et je m’entends dire je dessinerai l’amer, je m’entends dire tu m’as rendu amer et vois-tu, les larmes. Non, je ne les vois plus. Non, je ne les veux plus. Les larmes, tu n’étais pas là pour les voir quand j’avais ce besoin là de toi. Aujourd’hui. Je serai tout de joie. Elle dit. Et ne baisse pas les yeux. Et. Lui. Il reprend la mer. Il dit qu’il va le faire mais il ne dit pas quoi. Attention. Il va le faire. Je vais le faire. Et pas pour toi. Je vais le faire pour moi. A la place de personne. Salut, à toi, Personne. 20h04. 20h15. L’homme au fauteuil vert. Il a l’air triste, aujourd’hui. Il ne parle pas. Je baisse la tête pour écrire. La lève pour à nouveau voir. Une lèvre. Deux. Entre elles deux s’articulent les mots pour dire ce que j’ai vu. Entre elles deux je regarde, pénètre. Il parle. Il se lève. Il va chercher dans la pièce à côté la marmite. Il transporte des cailloux dans sa marmite. Que les choses soient bien claires. Il n’y a personne, ici. Pure fiction. Vois : cet objet que je tiens dans le creux de ma main. Appelons ça : un crâne. Tout se tient : là. Dedans. Dans le creux de la main qui tient ce crâne. Dans ce crâne. Quelqu’un a dit : ce ne sont pas des pierres dans la marmite, ce sont des pommes de terre. Nous allons pouvoir manger. Il transporte dans sa marmite la nourriture pour tous les enfants de la maison éphémère. La femme au piano du mois de juin passe devant moi. L’homme au fauteuil vert est seul dans son fauteuil. Il regarde la femme au piano du mois de juin. Ils se connaissent. Il était là, quand elle a joué du piano en juin. Ils se connaissent. Depuis combien d‘années se connaissent-ils. Comment ce serait si je te voyais pour la première fois aujourd’hui. Comme ce serait si je n’attendais rien de toi. Ne craignais rien de toi.. Depuis combien d’années vis-tu avec le conditionnel. Dans un fauteuil vert. Ma vie. Dans un fauteuil vert. En face de toi. Au conditionnel. Et C descend de l’escalier à gauche, est-ce qu’elle me voit, assis dans le fauteuil vert. Je suis invisible. Ma vie conditionnelle. Je la regarde, je te regarde, tu te lèves. Oh tes lèvres. C’est quoi le nom de l’instrument dont tu joues. J’entends : les sons. Il y a. Un rideau entre toi et moi. Un mur, entre toi et moi. Tout un monde. Il y a tout ce monde autour de nous. Et toi seule toi seul que j’entends. P vient d’arriver, il me voit, je l’ai vu. Nous marchons l’un vers l’autre. Bonjour, bonjour. Nous nous serrons la main. Ça va ? me demande P. Est-ce que ça va. Est-ce que je commence à répondre. Et toi est-ce que ça va. Réponds. Aujourd’hui. Ces jours-ci. C’est très difficile. Je me sens très seul. Comment te le dire. On ne se connaît pas. Cela n’a aucun sens que je te le dise. Mais je pourrais le dire à cette femme que j’ai peur d’aimer. Tu en penses quoi. Je pourrais te dire : je n’ai jamais aimé. Voilà. C’est dit. Je ne le répèterai pas. Et toi. Comment tu vas. Non. Ne me dis rien. Je ne sais pas entendre. Ce que je viens de te dire : m’empêche d’entendre. Ce que je viens de te dire : veut dire : je ne sais pas entendre. Nous nous serrons la main. Longuement. En nous regardant. Très vivement. Sans un mot. Et maintenant je le vois qui passe derrière l’homme au fauteuil vert assis dans son fauteuil vert. L’homme au fauteuil vert lui tend la main pour un salut, pour un bonjour, P ne le voit pas, il passe, sans regarder l’homme au fauteuil vert. L’homme au fauteuil vert tient sa main tendue, l’homme au fauteuil vert tend la main à P. Alors seulement P voit l’homme au fauteuil vert, et lui dit bonjour. L’homme au fauteuil vert et P se serrent la main. Ils se regardent, un temps, vivement. Une femme passe devant moi. L’homme au fauteuil vert est toujours assis. Seul. il regarde droit devant lui. Moi aussi vous savez je viens ici pour manger. Moi je viens pour écrire et ce que de toi je vais manger comment faire pour ne pas t’en priver, comment faire non pour rendre, je ne vais pas vomir, mais pour donner à la fin, je le ferai, dans l’oubli de toi, c’est la seule solution. Quand je t’aurai oublié enfin je pourrais te donner. Tu sais, moi je viens ici pour ne pas rester seul chez moi. Ah oui, toi aussi. Mais tous, ici, tous. Que crois-tu donc. Que tu es le seul à être seul. que tu es le seul à te nourrir, à te réchauffer, ici. A trafiquer avec ce sentiment de peur terreur ma joie, de peur, de taire ma joie. Tu vois. Je viens ici, je peux parler, m’entendras-tu. Viens m’entendre. Moi qui ne sait te proposer la réciproque. Viens. Tu verras comme c’est différent d’un jour à l’autre. S, c’est le nom de l’instrument. Est-ce le nom que tu ne retiens pas, est-ce le nom que tu n’écoutes pas, est-ce que tu ne retiens rien, n’écoutes rien. Je n’entends que le son. Ah, c’était toi. Il y a. Tout un continent sous le continent. C’est de là que je viens, dit l’instrument qui parle. Désormais : les objets parlent. Les objets : ont toujours parlé. Celui-ci dit je viens du continent sous ton continent là où les objets toujours ont parlé. Je suis l’origine de ta richesse. As-tu honte de moi. Avoue. C’est de moi que tu as honte. Attention. Je vais te rire au nez. Dans la rue. J’ai croisé M. Non. Pas dans la rue. Mon pas. Dans la rue. Il fait froid, aujourd’hui. Est-ce que tu m’aimes. Je parlerai. D’amour. Je parle. D’amour. De rien d’autre. Je ne peux te parler que de cela que j’ignore. Stop. C’est à la librairie que j’ai vu M. Homme sans but, un joli titre, tu ne trouves pas. Théogonie, les travaux et les jours, les hymnes, les titres des livres de ces vies qui nous lient. Les amis. Que tu vois en terrasse, F, L, M, en terrasse, je passe en vélo, F me voit, il détourne les yeux, oh comme c’est bête, je ne m’arrête pas. Devant la poste. Je croise la jeune femme qui tenait le bar hier soir. Elle est sur son vélo, moi sur le mien. Nos regards. Elle dit bonjour. Est-ce que je la connais. C’est qui cette fille. Tu fais quoi ce soir. Je dévie la trajectoire. On se connaît d’où. Est-ce qu’on pourrait. Un peu. Toi et moi. D’où. Ah oui je me souviens. Me rapprochant d’elle, le souvenir, son visage, me revient. Et M, dans la librairie, pareil, on se connaît, mais d’où. Il dit son prénom, ah, oui, ton prénom, le souvenir, de toi. Interruption. 20h53. 22h24. Je suis assis au même endroit qu’hier. Hier, ils étaient deux sur la scène. Aujourd’hui je t’écris, cher C. Depuis la chambre au fond du couloir qui ne fut jamais ma chambre d’enfance mais dont tous les objets parlent. Je t’écris. Nous avons parlé jusque tard dans la nuit toi et moi. J’aime ces moments. Où nous nous retrouvons. Le premier souvenir. Ce serait dans la maison d’en face, maison d’enfance, elle, oui, maison aux volets verts, longtemps verts, aujourd’hui blancs. La question, alors, qui revient sans cesse : est la suivante : on joue à quoi. Trente ans plus tard : on joue à quoi. Le désir de révolution qui n’en fut peut-être pas une, il y a 40 ans, si ce n’est celle du désir lui-même, c’est-à-dire : le combat contre son refoulement. La joie de son dévoilement. Cela, jamais ceux qui ne supporteront pour eux (qui n’ont alors pas supporté / qui ne supportent pas) l’intempestive liberté du désir ne pardonneront à ce mois de mai d’avoir déchaîné des forces libres et joyeuses : qui n’enfermaient dans nulle solution consommable : la vie. le nom du désir aujourd’hui de ceux-là est : faire payer. Cher C, à ma droite, il y a la porte qui s’ouvre maintenant et maintenant ma mère demande comment faire réchauffer les boulettes de viande. A ma droite, cher C, il y a le même homme qu’hier soir et sur scène, ils parlent de A, de Z, mangeur de M, mangeur de sa femme enceinte. Et les images du château reviennent. Là, les notables font manger de la merde aux esclaves et en jouissent. A la fin, c’est la mort pour tous. Et le monde va choir, merde, me dis-je, je l’ai vu. Je le vois tous les jours. Je le vois tous les jours bouffer sa femme pour qu’elle n’enfante pas d’un fils qui le détrône, je le vois : comment il la mange et la digère. Mais. L’enfant qu’elle attendait viendra. L’enfant qu’elle attend vient et grimpe par l’intérieur du corps jusque dans le crâne de son père et la voilà, la belle : fille du crâne de son père et la porte s’ouvre à ma droite et mon père m’invite à venir manger les boulettes de viande avec ma mère. Je suis. Assis. A la table dans la salle à manger. Je sui. Assis. A la table du secrétaire d’enfance. Je suis. Assis. Dans la chambre d’enfance et à ma gauche les quatre fenêtres et la vue sur l’église et l’immeuble où a vécu la petite I. Premier amour, qui sait. Elle m’avait offert une petite voiture en carton. Rouge la voiture et les tonneaux dans le champ, de la vodka plein le corps, la voiture écrasée, et nous vivants. Vue. Sur le début de la rue des neuf soleils. C’est là que je suis né. Je suis. Assis. A la table dans la nouvelle maison et je reçois tes images floues avant l’arrivée du réel. Je reçois des dessins de M. Je reçois les photos des dessins. Avant les dessins. Le plaisir face à la mauvaise qualité des photos. Je découvre ainsi les dessins. Ici, des traces des dessins sous les yeux avant leur arrivée vraie. Avoir. Une trace. En attendant. L’arrivée. Du vrai. Avoir : une trace avant. Les dessins arrivent demain. Les photos de mauvaise qualité des dessins arrivent avant. J’imprime les photos des dessins. Je montre ça. Je vous montre ça. C’est flou. C’est le début de la venue. Des dessins. Ce sont des images floues. Des contours. Des lignes. Des silhouettes. Les originaux sont en voyage. Ils arrivent par la poste. Ils seront là. Seront-ils. Ici. Demain. L’attente des vrais. L’attente délivre. Ne. Me délivre de rien. 22h34. O. Reprise. Ce ne sont pas des paroles qu’on te rapporte que tu écris, mais bien celle que tu vas chercher. C’est trop tard pour aller moins loin maintenant. Il faut. Laisser. Le fil. Aller. Va. Regarde. Dans la pièce à côté. Toujours, dans la pièce à côté. Là. Dans la pièce. Elle a installé son métier à tisser. Elle sait que tu vas partir. Tu sais. Elle va tisser : le silence de son récit, toi bavard, toi menteur. Le récit du temps de ton absence. Elle, pendant ce temps, elle vit. Allez, au travail, voyageur de fuite. Allez, vas-y, c’est à toi. C’est à toi de lire maintenant le récit de ta fuite, celui de ton retour, celui de mon absence, vas-y, lis-moi ta vécue non vécue vie en mer, vas-tu lire à la fin, allez, vas-y, lie toi à moi, crois-tu savoir faire ça. A l’étage, dans la maison, un homme travaille sur son ordinateur. J’imaginer, un récit, constitué des récits qui se disent dans le même temps, des récits qui se croisent dans le même temps et entrent et tissent entre un espace, et, selon où toi tu passes dans cet espace (c’est cela, le récit), traversant tel flux ou tel autre, tu entends des bribes là, des bribes ici, et tu t’arrêtes : auprès d’une voix, ou auprès d’une autre, allez, installe-toi, non, non, je ne veux pas. Petit joueur. Tu nous as vu, hier soir, à la télé. On avait mis nos amis de bandits. Tu nous a vus demande l’homme au fauteuil vert. Elle fait. Le résumé. De sa vie. A la place du résumé de sa vie, elle fait, le résumé, de la vie d’une autre femme. Elle lui vole : la parole. Elle la lui coupe. Elle la lui hache en petits morceaux. Et. A chaque coup de dents, un lambeaux de sa vie en parole passe de la vie de l’autre femme à la sienne. Et nous sommes là. Nous tous. Et la parole est à nous. Allez, vas-y, à toi. Parle. 22h42. 00h27. Ceux qui n’ont pas compris le passé. Comment font-ils au présent. Me tenir. Au présent. Je tiens. Au présent. Je suis. Un fil tendu, entre toi d’hier. Et moi qui viens. Je suis. Un personnage que tu vas rencontrer. Un large voile se dresse devant toi. Je suis : le bateau échoué dans le salon de ta maison définitive. Chère M, je t’écris depuis le cœur de la troisième nuit. Je ne suis toujours pas parti. Je suis toujours là. Il faut que quelqu’un reste. Ce sera moi. pour l’instant c’est moi. il faut que quelqu’un reste pour pouvoir dire après. 0h31. Ils sont encore une vingtaine. Autour de moi. ils me veulent. Nous sommes encore une vingtaine. Autour d’elle. nous la voulons. Je te raconterai, tout, quand tu seras de retour. Je te dirai les cercles où nous n’étions plus que trois, dans la nuit. Je te dirai l’alcool, consciencieusement bu jusqu’au matin. Pour tenir. Ai présent. Je te dirai : la première bouffée d’air de ma dernière naissance au monde. Ici. Pour ton retour. Je te dirai la chair autour de mon. Stop. Devant moi. Assiette, nourriture, clavier, verre, vin rouge. Faites moins de bruit me dit un homme. Je fais trop de bruit me dit un homme. Il me parle, c’est à moi qu’il parle. C’est le bruit du clavier dont il parle. On n’écrit pas dans le silence. Ça fait du bruit l’écrit. Petit malin. Son du clavier. Je vais à l’étage. Tu m’emmerdes. 00h38. L’homme, se sent rassuré, dit la femme au beau visage. Ta belle voix. Tes yeux très clairs. O. Des colombes. Voulez-vous remplacer le fichier existant par celui-ci. Oui. Un mail de M. 00h10. M. Un peu malade. Je vais dormir. Je finirai demain matin les dessins de ce soir. Je les posterai avant la levée du courrier. Belle nuit. A toi. Bien. Je rentre. Continuer le travail. Chez moi. Cette maison. C’est l’étranger. Un lieu étranger. Un territoire étrange, où tu es venu pour dire à la fin tu sauras quoi. 00H48. Ce qu’ils lisent ne répond pas à la voix de qui a écrit. La voix de qui a écrit les mots qu’ils sont en train de lire n’est pas dans les mots qu’ils sont en train de dire. La voix qui a écrit les mots qu’ils sont en train de lire ne s’est pas dévoilée dans les mots qu’elle a écrit. Le voilà, le mensonge suprême. Toi, tu dis le vrai. Je sais. Même dans tes pires mensonges, dans tes pires silences, tu dis le vrai, toujours, ça me gêne. Est-ce que je te gêne, moi. Je m’en vais. Je rentre chez moi. Je continue. Chez moi. Eh bien le voilà, ton retour. Le voilà, ton récit à faire. Non pas sur, et pendant le retour. Mais : une fois le retour fait. 1h31. Chez moi. Mon. Récit. De. Retour. En passera par le sommeil. En premier lieu. Et par la perspective d’un réveil, demain. Là, dormir. Pensant, allongé là bien au chaud. Pensant à ceux de la rue. Pensant à ceux de l’alcool. Pensant à ceux de la maison. Là-bas. Ceux des bureaux. Ceux du travail avant le travail des bureaux. Ces hommes et femmes qui nettoient bureaux et magasins, tous les matins. 5h00. 6h00. Il y a : un continent sous notre continent. Nous ne lui pardonneront jamais de n’être pas resté sans combat sous le poids de nos pas l’écrasant. Le sens de l’accueil. 1h52. Chère M. Je pense que tu liras ces mots une fois le jour levé. Je suis aujourd'hui rentré assez tôt. Besoin de dormir. Un peu n'importe quoi, la nuit dernière. Sommeil entre 5h30 et 7h00. Dormir. Maintenant. Dormir. Je travaillerai demain. Toute une vie. Je ne l’entendis jamais dire que cette phrase. Toute sa vie durant. Je travaillerai demain. Quand il est mort, on a retrouvé une malle pleine de ce qu’il écrivait la nuit. Des notes pour le matin. Des notes non retranscrites. Des notes prises dans des carnets que j'avais avec moi, toujours. Des notes écrites dans l'exemplaire de O. Dans toutes sortes de livres. Des notes écrites pendant les lectures des mots de l’autre nuit où tu n’étais pas encore partie. Tu te souviens. Ce soir où j’avais empilé tous les meubles de la maison devant la porte d’entrée. Aujourd’hui, j'ai collé au mur les impressions des photos de tes dessins. Avec les premières feuilles des notes. C'était assez jubilatoire. Cette matière en constitution. Le début de cette avancée, jour à jour. Ce soir, il y avait un peu de monde. Ce soir, j'ai lu. Un peu. Beau jour à toi. Je t'embrasse. A demain. M.
Et il se nomme enfin. Il dit je suis. Chez P. Ville de C. Je suis. A P. Ville de N. Chaque jour. Nous sommes moins nombreux. Chaque jour. Le récit nous dévore.
Chère B. Je vois la ferme. Je vois le mari débile, je vois ses chiens. Je vois l’amant qui vit maintenant avec vous et qui continue sa vie d’amant avec d’autres. Ici aussi, je suis né. C’est la mère de la mère qui est partie d’ici. Pas moi. Le village, s’appelle Aubepierre, c’est dans la Creuse. Ainsi réapparaîtront les noms. Par ces deux là. Communs, d’abord. Une aube. La pierre. Dedans je creuse. Aubepierre dans la Creuse, chère D, tu en es partie. Je parle aux morts. Je parle à une morte. Est-ce qu’elle m’entend. Je n’y crois pas. Non. Je lui parle. Elle est partie. Creuse natale. Creuse. Creuse. Enfant. A suivi père et mère, c’est eux qui sont partis. Pas elle. Ont suivi le père. C’est lui, qui est parti. Elles ont suivi. Il y avait un frère, aussi. Je te parlerai d’elle. Aujourd’hui. Je te parlerai d’elle en une phrase. D’abord. Née dans la Creuse elle rencontra celui qui devint son mari dans la ville de P, et vécut avec lui chaque jour de sa vie dès lors, exceptés ceux de la guerre, et c’est dans le village de C qu’ils vécurent leurs dernières années, mais aucun d’eux n’y mourut, village de C, là où était né son mari, et c’est dans la ville de C qu’ils moururent tous les deux, 1995, 2002, aucun n’ayant pu resté jusqu’à la fin dans le village de C, elle : n’ayant pu rester à Aubepierre dans la Creuse, elle comme lui mourut dans la ville où sa fille et le mari de sa fille, mes parents, vivent encore aujourd’hui, et non dans le village de C, où sont nés les deux maris, le sien, et celui de sa fille, et non dans le village d’Aubepierre, dans la Creuse, là, où elle est née, elle.
Chère A. Je repense à ce matin. Corps plein d’alcool après la nuit. J’aimerais te voir nue. J’aimerais nous voir nus. Je ne tiens pas debout. Je rentre chez moi. Je m’appuie au vélo. Je rentre à côté du vélo. Je le charge d’un butin de guerre, de deux objets, ramassés sur le trottoir, devant une maison. Je pille. Un passant m’insulte. Au nom de ceux qui ont vécu là et dont je vole les objets. Est-ce que je vole leur mémoire. Est-ce que je la voile. Le buste d’un mannequin de femme, torse nu, elle, l’objet, et sans bras. Un dictionnaire. Un dictionnaire et un mannequin, les deux trophées. Et moi, m’appuyant au vélo comme à une canne, et marchant. Retour. Chez moi. Père, et père de ma mère m’accompagnent. Le vélo. La canne. Ville de P.
Chère A. Sept ans plus tard. L’automne. La terrasse d’un restaurant. Ville de P. Tu me parles de la chambre de l’hôpital avec vue sur les montagnes. Une vue douce pour accompagner la mort. Que la vue soit douce à mes yeux qui meurent. Tu me parles. De ces semaines où tu accompagnes ta mère qui meurent. Fréquentation de la mort. Et. Il se nomme enfin.
Jeudi. 15. Ville de C. Un texte. Qui commence par les conséquences d’actions non encore narrées. Entendre. La réponse à une question que tu n’as pas entendue. Ce n’est qu’à la fin du récit que tu entends la question : elle institue, entre les deux partis, un durable traité.
Par où donc vais-je commencer. Par vais-je où finir. Je dirai tout : d’abord mon nom. Mon nom véritable est par où je vais commencer, par où je vais finir. Il dit. Je suis celui dont la gloire touche le ciel. Il dit. Ma terre d’origine est une île. Elle est rocheuse. Et je te parlerai des femmes que j’ai connues, ce sont elles qui savent. C’est C, leurs noms, à toutes, elles savent. Toutes. Reine, chacune de son île. Je te conterai le périlleux retour. Comment je pillai. Massacrai. Comment avec mes gens l’on emmena beaucoup de biens et les femmes loin de la ville que l’on pilla, là où l’on massacra. Comment on but beaucoup de vin. Comme le peuple pillé se vengea et comment. Six de mes hommes sur chaque bateau moururent. Je te raconterai. Comment nous reprîmes alors la mer avec tristesse. Toujours, nous reprîmes la mer avec tristesse. Le sais-tu, cela. Je te commenterai. Comment en dix jours j’avais fait tout le chemin et comment je voyais la terre natale à portée de mes bras mais. Il me fallut encore dix ans. Je te. Raconterai. Comment mes gens, ayant goûté à la douceur du fruit de l’oubli ne voulaient plus rentrer. Ne rêvaient que de rester. C’est moi : je dus les ramener de force. Tous en pleurs. Et nous reprîmes alors la mer avec tristesse. Je te le répètes. Toujours. Nous reprîmes la mer avec tristesse. Et, maintenant, écoute. Ferme les yeux, et vois. Il y a. Deux îles. Elles se font face. Sur la première, vit un hors-la-loi dont je vais crever l’œil dans quelques instants et dont la vengeance du père va me retenir loin de chez moi pendant dix ans. Sur cette île, vivent d’autres hors-la-loi. En face, sur île d’en face, aucun homme, et tout pour le nourrir. Une nature, bienveillante. De l’autre coté, les monstres, les hors-la-loi. Ne se fréquentant pas. Vivant chacun à l’écart. Celui, dont je vais crever l’œil dans quelques instants, ressemble au sommet boisé d’une haute montagne. Nous entrons, dans sa antre. Je pense : à l’antre de C. Nous entrons, dans la caverne du monstre, en l’absence du monstre. Là, mes compagnons me supplient de voler les fromages, les agnelets, les chevreaux, et de partir. Mais. Je ne cède pas. Car le monstre je veux le voir. Et. Savoir. S’il. Me fera des cadeaux. 11h45. Interruption. Allons manger dans un restaurant vietnamien. Avec P. La serveuse est très belle. Les tendres bras d’une princesse. Les seins ronds et la peau blanche et son odeur de lait qui séduit les hommes. Ville de C. 22h00. Chambre au fond du couloir à droite. Effrayé par sa voix profonde et sa grande taille. Crains les yeux, dis-je au monstre. Car je suis ton suppliant. Mais les monstres n’ont pas le souci des yeux me dit le monstre. Tu vas voir. Si tu n’as pas le soucis des yeux. Me dis-je. Tu vas voir un peu ton œil et comment sans lui tu verras après. Mais en attendant, le monstre, sautant sur mes gens, en prit deux d’un coup, et comme des chiots, sur le sol, les assomma. La cervelle en giclant mouilla le sol. Découpés membre à membre il en fit son souper. Refit de même le lendemain. Car nous étions ces hôtes, désormais. Alors, en mon cœur, je sus qu’il était temps de lui dire mon nom. Et. Il se nomme enfin.
Personne. Mon nom. Est Personne. En as-tu jamais douté. Si tu sais voir sur le visage que je dresse face au tien tu liras je ne suis rien je ne serai jamais rien je ne peux vouloir être rien je porte en moi tous les rêves du monde. Si tu sais voir, tu liras j’ai renoncé avant de naître ce n’est possible autrement il fallait cependant que ça naisse ce fut lui j’étais dedans. Alors. Je lui crevai l’œil. Il poussa un rugissement qui pleurait après son père. Méchant monstre, méchant monstre appelle papa. Je répète, méchant monstre appelle papa, allo papapapapapa, c’est moi ton fils. Venge-moi. C’est moi, qui lui demandai cette vengeance. Et mon âme riait. Demande à ton père un peu de te venger. Petit. Merci, petit. Grâce à toi, grâce à lui, me voilà libre et loin de chez moi pour encore dix ans. Merci. Petit. Il. Arracha la cime d’un mont, et la jeta dans la mer. Voilà tout ce qu’il sut faire, le méchant monstre à son papa. Tandis qu’une femme venait d’arriver. Venait de nous rejoindre. Elle vient. Elle vient de s’installer dans le fauteuil vert. Où est l’homme au fauteuil vert. Je suis. Assis. Dans la chambre au fond du couloir à droite. Au bout du lit. Je suis. Derrière la baie vitrée. Dans la laverie. L’aveugle n’est pas loin. C’est moi. J’écris. Mon nom. Quelqu’un. Donne le livre à la femme. A peine vient-elle d’arriver qu’elle est en train de lire mon nom, déjà : nous reprîmes alors la mer avec tristesse, heureux d’êtres vivants, mais pleurant nos compagnons morts. Elle dit. Il est 18h20. Vendredi 16. Jour anniversaire du jour de la naissance de mon. Père. J’achève. La lecture du chant 9. Dans la chambre au fond du couloir à droite où nul souvenir vécu hors la présence des objets qui m’entourent. Je me souviens. Rue de 9 soleils. Je ne me souviens pas de leur chambre. Le chant des 9 soleils. Voici mon nom. Personne.
Le lieu. De la folie. La direction. De la folie. Impossible à écrire. Impossible à dessiner. Je peux tracer en tout point de ma vie des lignes tendues vers l’infini. Je peux tracer des frontières et des trajectoires. Seules les trajectoires correspondent à des lieux où j’ai vécus. La frontière : est le lieu vrai de l’inconnu. Le ciel, je peux le voir. Mais. Je ne peux pas y être. Je peux nager dans la mer. Je peux rejoindre l’île que mes yeux voient. J’ignore à qui appartient cette île. Je rejoins l’île, que mes yeux voient. J’annule la frontière. Une nouvelle frontière se forme alors dans mon dos. Je me retourne. Je la vois. Je n’annule aucune frontière. Nulle frontière devant moi, ni dans mon dos. Mais tout autour, toujours. Je suis. Une île. Nous sommes. L’archipel. Chacun en tout point de nos vies traçant des lignes tendues vers l’infini. ATTENTION. N’espère en aucun point de ta vie les voir se rejoindre. ATTENTION. N’attend en aucun point de ta vie la rencontre. Car elle vient. Ceci. Etait une définition du mot frontière.
L’océan. Est sans fin. Et. Unique. L’île. Est toute petite. Et. Multiple. La montagne. Est sur l’île. Le palais, la maison, la ferme, le château, l’immeuble. Sont sur l’île. Tous, sont uniques. Tous, sont multiples. Les rois, les présidents, les esclaves, les ouvriers, les hommes libres. Sont sur l’île. Les femmes. Portent le peuple dans leur ventre. Le ventre. Est unique. Les animaux. Sont sur l’île. Quand ta vie commence. Tous. Ils sont sur l’île. Voici l’espace. A toi le temps. Merci, beaucoup, vraiment, merci. J’apprécie. Peut-être vais-je attendre un peu avant d’y aller. Non, ne fais pas ça, vas-y maintenant. Je te jure, c’est mieux, vas-y. Bon. Alors merci.
Je sors de chez moi. J’ai le sac à dos sur les épaules. C’est le mardi 13. Je longe la rivière. Je vois les immeubles à droite. Comme jamais. Très précisément. Je suis là. Grande joie. C’est grande joie, toujours : d’être là. Entièrement là. Cette sensation. Etre présent à ce dans quoi tu avances. Et voir alors l’espace autour de toi. Avoir accès à lui par le regard. A l’inverse, tu penses à ces temps d’absence, où tout du monde que tu vois autour de toi baigne dans un espace auquel. Nul accès. Ton corps est là, seul, seul ton corps. Mais aujourd’hui. Tu es. Là. Entier. Dedans. Tu vois.
Marcher jusqu’au stade. Le vieux stade de la ville de N. Un autre stade, celui de la ville de C, fin du trajet, dix heures plus tard. Un autre stade. Celui du village de C. c’est le début de l’histoire. Il y a 46 ans. Un autre stade. Il y a 65 ans. 16. 17. Mois de juillet. 68. 21. Mardi. 13. Aujourd’hui. Je suis assis, à droite du chauffeur. Dans quinze jours, il prend la mer. Il traverse l’océan à la rame. Il a descendu le fleuve, déjà, depuis sa source jusqu’à ce lieu où il vit, là. Ville de N. Au retour, c’est H le chauffeur. Lui aussi a traversé l’océan. Mais dans l’autre sens. En 83. Sans papier. Sans rien. Sans un mot de la langue d’ici. Et s’est retrouvé en ville de P, dans le métro. Sans rien. C’est lui qui me ramène de C à N. C’est F le rameur qui me fait quitter la Ville de N. Sa voiture s’arrête, là, juste à côté de la maison de S. Je fais du stop sous les fenêtres de la maison de S. A l’ombre du stade. Un chauffeur, une chauffeuse. Le rameur. Le militaire et sa femme et leur chien. Le jeune homme entre A et A. Le traducteur entre A et A. Les deux jeunes femmes, deux étudiantes infirmières, entre A et T. B, de T à B. B, Ville de P, ville de N, et un village aussi. On aurait pu partir ensemble ce matin dit-il, parti lui aussi de N, ça vous aurez permis de dormir un peu plus. Ça m’aurait permis de ne connaître l’existence ni du rameur, ni du militaire, ni de sa femme, ni de son chien, ni du jeune homme entre A et A, ni du traducteur, ni des deux jeunes femmes étudiantes infirmières. Ville de T, le ciel noir. Manger sur un banc, dehors. Marcher dans une zone périphérique de la ville. Marcher une heure jusqu’à la sortie de cette périphérie. A 14h00, P m’appelle pour en savoir où j’en suis du voyage. Je suis à la périphérie de la ville. Je suis au bord du fleuve. Je suis dans le cœur du pays. Je suis : à 111 kilomètres de la ville de V. Là, B s’arrête et nous partageons une heure de temps, deux heures, entre T et B. B : est conducteur de rame de métro. Il y a 24 ans, peut-être, il à croisé H dans le métro. A B, la nuit tombe. Le froid dans les doigts. Commence à faire mal. Une jeune conseillère en code du travail ouvre la porte de sa voiture, je monte. Parole. Chauffage. Elle me montre le livre d’une amie à elle. Un peu fleur bleu dit-elle, oui. Ville de M. Elle s’arrête là. Merci. Au revoir. J’appelle P. Je me rapproche. Un jeune conseiller commercial en pharmacie ouvre la porte de sa voiture, je monte. Parole. Chauffage. Des métiers dont tu ignores qu’ils puissent exister. L’arrivée en ville de C. L’ami qui vient te chercher. Son amie. Leurs deux enfants. La soirée chez eux. La neige au réveil, le lendemain matin. Une joie d’enfant. La lecture du chant 9, dans le divan rouge. La serveuse dans le restaurant. La voiture de P, qu’il gare dans une rue en pente à droite de la poste. L’immeuble dans lequel ma mère travaillait, l’immeuble devant lequel je l’attends. Son arrivée. Ses gants blancs en laine qui tiennent le volant. L’anniversaire de mon père demain. Etre là, chez eux. La chambre au fond du couloir à droite où finir la lecture du chant 9.
Un vieux chant remis à neuf chaque jour. Ici. Enfin, tu te nommes. Et tu commences le récit de ton retour. Cher père, chère mère. Je vous écris depuis la chambre au fond du couloir à droite. Je vous écris. Depuis un champ neuf à la périphérie du village de C où j’imagine vous avez pour la première fois ensemble fait l’amour. Je n’imagine pas le stade du village de C. Je le connais. Je sais que le premier regard a lieu là. Je sais. La puissance des regards. La puissance des stades. Les temps de paix. Les temps de guerre. Je pense, à H, et à sa traversée de l’océan. 1983. Je pense. Aux stades de l’histoire. Et que l’on entende ici aussi les étapes, les strates. Je vous écris. Depuis la pièce au mur blanc avec baie vitré, vue sur la ville de N s’étalant à ma gauche. Aujourd’hui. Mercredi. 28. 15h31.
Le stade. Les stades. Les strates. Les étapes. L’histoire. Une maison. Proche. Une maison. Loin. Traverser. C’est de l’autre côté de la rue. Traverser. Un océan. Des hommes. Une tronçonneuse. Au bord d’une route. Une ligne droite. Dans le vent. Etre à l’arrière, passer à l’avant. écrire, traduire. Deux jeunes femmes. Une voie express qui traverse la ville. Un homme entre ses deux enfants et sa mère. Sa belle voiture. la musique. La nuit. Le froid. La terre natale plus proche. L’ami d’enfance. Les enfants de l’ami d’enfance. Une belle serveuse. Ma mère. Mon père. Les lieux du travail. Le lieu du secret. Une chambre au fond du couloir à droite. Pas ici mon enfance. Des objets. Des journaux. Des cahiers. Mon enfance un adieu. Jamais.
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